Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

nouvelles

  • vie minuscule

    Assise, elle est là, elle ne bouge pas ou peu. Elle ne sort jamais. N’a plus de famille. Ou alors une famille qui pour elle n’existe plus. Pour elle ne sont réelles que les aides-soignantes, les aides-ménagères qui rythment ses jours entre le petit écran qui reste allumé toute la journée et ses repas qu’elle prend à heures fixes. Rien ne bouge chez elle, des quantités de bibelots s’entassent sur des étagères pleines de poussière…il ne faut surtout pas nettoyer…on pourrait les casser. Son salon est en même temps sa chambre. L’immeuble est vieux, délabré…elle habite au troisième étage. Les escaliers sont tellement raides….depuis son attaque, elle ne peut plus les monter. Donc elle reste cloîtrée. Le petit bout de balcon est même devenu inaccessible. C’est l’une de ses aides qui arrose ses plantes.

    Elle connaît tous les programmes télé par cœur. Un vrai Télé Z à elle toute seule. Elle n’a plus la radio depuis que son dernier poste est tombé en panne. Elle ne se plaint pas…ou alors juste pour dire qu’elle ne veut pas retourner à l’hôpital. Qui nourrirait sa minette ? Ses vieux voisins sont partis…soit en maison de repos, soit ont déménagé dans un autre immeuble…avec un ascenseur.

    C’est un monde triste auquel j’ai rendu visite une fois toutes les deux semaines. Elle avait parfois une petite joie, quand elle recevait une carte postale nouvelle (qu’elle collectionnait).

    Moi j’étais là pour parler avec elle. Pour qu’elle se sente moins seule. Etre une présence. L’assister dans cette fin de vie. Mais elle était tout sauf en fin de vie. L’idée de parler de sa mort prochaine la fermait totalement. Nous discutions de la série allemande qui passait tous les mercredis après midi, cherchant qui était le coupable de la série policière qui passait juste après. J’ai écouté sa vie passée. Aujourd’hui je parle d’elle, je ne vais plus rendre visite à cette vie minuscule mais touchante. J’aimerais avoir apporté un peu de chaleur et d’amitié à cette vieille dame mais je ne sais ce que je lui ai apporté et si elle se souviendra de moi. Je laisse tout de même ce petit témoignage d’une accompagnante sur son accompagnée.

  • La mort du père

    Les gouttes de pluie s’écrasent mollement contre la vitre. Le linge, qu’elle avait mis à sécher dehors, lentement, se gonfle d’eau. Plus rien n’a d’importance maintenant. Toute l’eau de la terre peut bien tomber, ce linge se noyer, elle n’est plus qu’un corps derrière une vitre, ses yeux ne regardent déjà plus au loin. Elle est à l’intérieur d’elle-même. Les derniers événements repassent en boucle derrière son écran personnel. Les images, les sons, les odeurs, les rires, les colères, les petites attitudes, mimiques, défauts, tout afflue et elle reste là, les yeux vitreux, la bouche entrouverte, le corps appuyé contre cette vitre, incapable de s’arracher à ce tonnerre qui gronde en elle. Elle se rappelle tous ces chemins parcourus seuls dans la forêt, avec Dick leur chien. Elle se rappelle tous ces morts qui, aujourd’hui, se sont rejoints, depuis cet appel téléphonique. Rien ne compte plus depuis que la sonnerie du téléphone s’est faite entendre et que la voix de sa mère lui est parvenue, altérée par la distance et la douleur. Son monde s’est effondré à ce moment précis. Tout un pan de sa vie s’est détaché. Pour une fois, nul mot, nulle phrase n’est venue à son secours…un vide s’est creusé en elle et elle avait raccroché. Aucune larme n’avait coulé et elle était seule ce jour-là à la maison. C’était un jeudi après-midi, son jour de repos. Elle traînait encore en chemise de nuit alors qu’il était déjà midi passé.

    L’annonce de la mort de son père était ce qu’elle craignait le plus depuis toute petite. Elle le voyait immortel, inaltérable et se refusait à le voir dépérir, vieillir et mourir. Il était si fort, jamais malade ou si peu, cela ne pouvait arriver, cela ne devait arriver. Voilà sept ans qu’elle était partie de chez elle. Pour ses études, elle avait quitté l’île, puis s’était mariée et ne revenait plus que pour les grandes vacances. Les voyages en Allemagne qu’elle faisait petite, seule avec lui, revenaient brusquement à sa mémoire, en particulier le petit cimetière perdu dans la forêt où son père voulait être enterré. Elle avait adoré ces moments passés avec ce père qu’elle avait fini par héroïser.

    Elle reprit doucement possession de son corps, la douleur qu’elle ressentait devenait en effet de plus en plus physique. Son cœur explosait dans sa poitrine et était transpercé par des milliers de petites aiguilles. Son ventre était devenu un trou béant. Elle avait envie de hurler mais sa gorge serrée ne lui répondait plus.

    Sa pensée revint difficilement au monde qui l’entourait. Elle venait de raccrocher au nez de sa mère qui devait être, non seulement seule, mais encore plus mal qu’elle. Des larmes s’amassaient derrière ses yeux tandis qu’elle tentait de composer le numéro de ses parents, enfin celui de sa mère, uniquement, désormais.

    tristesse.jpg

  • suite de Un début

    Lui
    Il y a cette femme à côté, celle qui est capable de chanter et danser seule dans son jardin... On m'a collé quelqu'un d'encore plus fou que moi, capable de ressentir de la joie. Juste pour me faire enrager. Elle n'a pas beaucoup de visites. Elle a fait une fête avec des gens qui s'ennuyaient à mourir. J'ai regardé. J'ai senti ses yeux qui me scrutaient dans le noir. Elle a même osé frapper à la porte. Elle ne peut pas rester avec son bonheur chez elle? A-t-elle besoin de l'étaler aussi ici?
    J'ai rendez-vous la semaine prochaine. Il va falloir sortir. Pourquoi ce maudit docteur pour fous ne comprend-il pas que je ne veux plus que l'on me voit? Pourquoi ne vient-il pas comme je le lui ai demandé? "Cela fait partie de ta thérapie", "il faut que tu te confrontes au monde", "tu ne voudrais pas devenir asocial quand même?". Oh ben non alors, je ne le voudrais pas, je le suis déjà! Et parlons-en de sa "thérapie"....Depuis 20 ans, je me bourre de médocs, plus ou moins forts selon les rechutes, c'est ça sa thérapie de merde? Je lui en ferais bouffer de sa thérapie, il va comprendre comme on se sent mieux après! Il va encore me parler de son "centre d'aide par le travail", je vais encore l'envoyer promener. Il n'est pas question que je produise quoi que ce soit pour cette société qui juge et qui sourit. Je vais adopter un chien. Je le dresserai à être mon ami. Oui, c'est ce que je vais faire.
    L'autre à côté fait encore un de ces boucans...elle installe une balançoire...et pourquoi pas un toboggan, elle compte ouvrir un centre pour gamins chez elle ou quoi? Il ne manquerait plus que ça. Elle l'essaye. Je ne me rappelle même plus la dernière fois que j'ai fait de la balançoire.

    Elle
    J'ai le coeur encore chaviré et je sens tes coups de pieds, tu as adoré la balançoire...moi aussi! Cela faisait si longtemps. Mes fesses ne se souvenaient plus de cette impression d'être la seule partie de mon corps rattaché à ce monde de pesanteur. L'impression de voler, de vitesse, de rire jusqu'au ciel. Quel plaisir oublié!
    Tu pousses tellement vite, tu es désormais capable de me filer de sacrés coups de pieds...moi, je m'arrondis pour te protéger. Tu verras, quand tu sortiras de ton cocon, un autre cocon t'attendra ici avec moi.
    Je n'ai toujours pas pris contact avec le voisin. Mais je suis sûre qu'il existe désormais. Quand je faisais de la balançoire, je l'ai vu à sa fenêtre. Plutôt bel homme mais un regard qui me terrifie, je dois l'avouer. Je me fais encore des idées sur les autres. Pourtant je m'étais promis de ne plus juger mon prochain. Sale habitude. Pourquoi ne répond-il pas quand je frappe à sa porte?

  • Un début....

    J'ai retrouvé une nouvelle dont je n'avais écrit que le titre et une phrase. Je l'ai un peu continué ce matin, ça donne ça:
    Folie par rétrospection…

    LUI

    Je me souviens exactement du moment où j’ai perdu l’esprit. C’était en septembre de l’année 1986, le 14 je crois. Oui, le 14 septembre. Pourquoi ce jour, je l’ignore encore et ne pourrais vous répondre. Cependant je suis persuadé que c’est là que tout a commencé. Me voici aujourd’hui comme les 386 jours derniers, dans cette pièce sombre, à fumer. Il est 7h . Je suis déjà allé trois fois à la cuisine. Deux fois à l’étage, allumé l’ordinateur une fois, je l’ai éteint une autre fois. Et me revoilà dans ce trou. Personne à qui parler. De toute façon, je n’intéresse personne.
    Quand ils étaient encore là –mon père est parti le premier, suivi de près par ma mère, un joli cancer tous les deux –, je parlais. Pas grand-chose, mais je parlais. J’avais quelques amis, rares et qui se sont raréfiés au fur et à mesure qu’ils m’ont connu. Je ne sais pas ce qui s’est passé quand j’ai eu 13 ans. Qu’est ce qui a basculé dans mon cerveau pour que je me retrouve aujourd’hui en dehors du monde normal.
    Bien sûr j’ai vu quantité de psys…tous aussi barjos les uns que les autres… j’ai vécu des jours inimaginables en hôpital psychiatrique à entendre hurler les fous…mais moi je n’hurle pas, je n’avance pas.
    J’ai eu des petites amies, une en centre pour ados « fous », pardon en difficulté à s’adapter au monde social, une autre ici dans cette ville. Pourquoi ça s’est fini ? J’étais fou. Forcément ça aide pas aux bonnes relations dans un couple (peut-on parler de couple je ne sais pas), ni aux bonnes relations tout court.
    Sentir le regard des autres quand vous êtes le seul dans un supermarché, le seul sur la plage, le seul dans la rue. Tous ces regards braqués sur moi qui me disaient : « Tu as échoué dans la vie, tu n’as rien fait de toi. Regarde, tu as déçu ton père. Tu ne vaux rien. Tu n’es capable de rien. » Finalement je ne suis plus sorti. Je préférais allumer mon jeu d’échecs électronique. Lui au moins ne me juge pas. Je peux rester trois heures devant lui, il ne râle pas et je gagne.
    Allumer la télé, ça fait du monde qui parle et qui ne te regarde pas. Même le livreur de nourriture me regarde. De quel droit ?
    Un jour, je vais me réveiller. J’aurais 13 ans, on sera en 1986 et cette fausse vie ne sera pas. Il sera fier de moi. Je réussirai mon baccalauréat. Comme ma sœur. Il sera fier de moi et je n’aurais pas besoin de me cacher dans ce trou.
    La maison est grande et pourtant j’ai tout laissé comme c’était quand ils étaient encore là et que moi je devais rester dans ma pièce, mon cagibi, ma chambre de Seigneur, comme il disait.
    Dépendre de ces médocs pour vivre, besoin de fumer pour exister.
    Parfois j’ai l’impression de vivre en surplace. Comme dans un cauchemar.
    Peut-être qu’il faut une étincelle.
    Il y a du bruit dehors. Je devrais aller voir mais je suis là avec mes pensées, mon monde, mes habitudes. Dur d’y échapper. Mais il y a encore du bruit. Tant pis.


    ELLE
    Hum, voilà mes meubles sont arrivés, mes valises aussi. C’est ici que je me pose. Nouvelle vie ? Est-ce possible après tout ce qui s’est passé ? Peut-on tout effacer, recommencer ? Ici, personne ne me connaît, je peux devenir celle que je voulais être.
    J’ai l’impression que je n’ai pas de voisin. La maison la plus proche de mon nouveau chez moi semble inhabitée. J’ai frappé plusieurs fois, personne ne m’a répondu. C’est rassurant dans un sens mais avec tous ces faits divers dans cette île, j’aurai aimé avoir une gentille famille à côté à qui demander du sel dans les moments de solitude.
    Je découvre peu à peu cette île, ici je peux sourire. Et on me sourit. Les couleurs sont plus vives, même les nuages et l’orage sont beaux et me remuent enfin. Plus de journées mornes à regarder sans fin par la fenêtre.
    A trente cinq ans, je me réveille enfin. Etonnant qu’il m’ait fallu tout ce temps. Remarque ce n’est pas si tard… j’aurai pu renaître après quarante ans et je n’aurai même pas pu donner la vie. N’y pensons plus. Il ou elle sera bientôt là et nous vivrons tous les deux. Pour de vrai.
    En tous cas le jardin est magnifique. Cet agent immobilier a su tout de suite ce qui me plairait. A la fois sauvage et rempli d’arbres fruitiers. Je pourrais installer une balançoire.
    On y sera bien. Je ferai des soirées, avec du monde qui m’appréciera.
    Tu verras.

    ********

    Le troisième mois, c’est le mois où tu n’es plus un embryon mais un fœtus. C’est le médecin qui l’a dit. Tes muscles se forment. Tu existes un peu plus aujourd’hui. Et moi aussi.
    J’ai apparemment un voisin. Je ne l’ai pas encore vu. Même si ça fait plus d’un mois que je suis là désormais. J’ai vu quelqu’un livrer des courses à côté. Et lors de ma crémaillère, j’ai vu quelque chose de sombre dans le jardin d’à côté. Il ne sort jamais ? Il faudra que je réessaye de faire connaissance.

  • Une lézarde au mur

    Bon parce qu'on m'en reparle en ce moment de la nouvelle que j'ai écrite, je la remets ici....


    Lundi

    Je suis des yeux la lézarde qui grimpe sur le mur jaune décrépi. L’air de l’extérieur filtre à travers la fenêtre du haut. Il est frais. Ca fait longtemps qu’ils ont emmené Marc. Il devait voir son avocat. Moi je ne vois plus le mien. J’ai reçu une lettre ce matin. Ma mère. Elle veut comprendre encore. Alors qu’il n’y a rien à comprendre. Elle veut juste entendre que ce n’est pas de sa faute. Elle n’y est pour rien en somme. La lézarde se divise en plusieurssous-lézardes. On dirait un tableau d’un de ces peintres contemporains. Ce jaune, vieux, sale, qui s’effrite. Ces lignes qui s’avancent peu sûres d’elles-mêmes et s’arrêtent sans qu’on sache pourquoi.

    Je pourrai passer ma vie à regarder ce mur. Je pourrai passer ma vie à lire les graffiti de ceux qui m’ont précédé. Dans un sens puis dans l’autre. Je les lis parfois tous à l’envers et leur découvre un sens mystérieux. J’entre dans le monde des lézardes et des mots qui n’ont plus de sens. Mais on se moque de moi. On m’appelle L’Autiste. Ils ne comprennent pas. Ils ne peuvent pas comprendre comment je peux rester des heures à scruter ce mur parce que, eux, ils n’y voient qu’un mur.

    Ça a commencé à cause de Lui. C’est de sa faute à Lui si je suis là. Ma mère n’y est pour rien. Ni moi non plus. Moi je ne fais que regarder. Regarder ou dormir. Parfois j’ouvre un livre. C’est le bibliothécaire qui me le donne. Hier j’ai lu l’histoire d’un homme qui sentait tout. Sur la couverture du livre il y a une femme bien en chair, blonde, qui est nue. C’est pour ça que j’ai pris le livre. Je me sens comme cet homme rejeté par tous parce qu’il sent tout. Je n’ai pas encore tout lu. Je ne lis pas vite. Je prends mon temps. Je scrute chaque mot. Je m’y plonge. Une fois je suis resté une journée sur une page. C’est parce que j’aime mélanger les mots. Je prends le premier mot du début de la page et je l’associe au dernier mot de la fin de la page. Là c’est une autre histoire qui commence. C’est pour ça que je suis lent. Je lis toutes les histoires qu’il y a dans une page. Le bibliothécaire m’a dit qu’il ne me passerait plus de livres si je ne les rendais pas plus vite. Il y a d’autres personnes qui voudraient les lire. Moi je ne les connais pas les autres personnes.

    Je ne connais que Marc. Il dort dans le lit d’en haut. Moi j’ai peur du vide. Je ne monte pas. Je reste en bas. C’est mieux d’être en bas, on peut regarder le dessous du lit d’en haut.

    Marc il est là parce qu’il dit qu’il voulait pas lui faire de mal. Qu’elle était d’accord. Mais, elle, elle dit pas la même chose. Il dit qu’il sait pas pour combien il en a. Qu’il est désolé.

    Moi je ne suis pas désolé.


    Mardi

    Marc il est revenu. Il ne m’a pas parlé. Il était en colère et il a donné un coup de poing dans le mur. Il y a une trace maintenant dans le coin droit sur le mur du fond. Il s’est fait mal. Je l’ai laissé tranquille.

    Ils m’ont dit que c’était un psychiatre que je devais voir. Ils ont dit que ça servait à rien que je sois là. Que de toute façon je ne comprenais même pas pourquoi j’étais là. Moi je sais pourquoi je suis là. Je ne leur ai pas dit. J’ai juste dit que le mur était jaune et sale. Eux aussi ils ont dit Autiste mais ils sont bêtes. C’est Lui qui aurait dû être là. Lui il ne m’aimait pas. Il frappait sur le chat.

    Mais je n’aime pas penser à Lui. C’est à cause de Lui que je suis là. Je ne l’ai même pas dit à Marc. Même si lui je l’aime bien. Il ronfle beaucoup la nuit mais il ne m’embête pas. Des fois il me demande ce que je regarde là sur le mur. Alors je lui raconte et il m’écoute. Il écoute le mur jaune et ses lézardes.

    Aujourd’hui je ne lui parle pas. Je sens bien qu’il ne veut pas. Il a le visage de celui qui ne veut pas qu’on lui parle. Marc il me défend contre les autres. Je l’aime bien. Un jour je lui ferai lire ce que j’écris sur lui. Mais peut-être pas.

    Je regarde la trace qu’il a laissée. Il y a une petite auréole rouge noir. Là où la peinture est partie. Je laisse infuser cette couleur rouge noir sur le vieux jaune sale qui est autour. On dirait une fleur avec une coccinelle dessus. Elle bouge avec le vent. Il ne fait pas trop chaud et il ne fait pas trop froid non plus. Il y a beaucoup de soleil. La fleur penche et la coccinelle avec. Je voudrais raconter à Marc l’histoire de la fleur jaune sale avec sa coccinelle de sang noir. Il est sur son lit mais je ne veux pas l’embêter. Lui il ne m’embête jamais. Je suis sûr qu’il n’a rien fait. Comme moi il a son Lui.

    Mercredi

    Je me suis réveillé cette nuit. Dehors il y avait un homme qui criait. Il hurlait. Ils sont venus à plusieurs et il n’a plus crié. Ça a réveillé Marc aussi. On a discuté. Il va être jugé. Il a peur. Il ne veut pas gâcher sa vie. Marc veut lui demander pardon. Il veut s’excuser. Alors je lui ai raconté que ce n’était pas de sa faute. Je lui ai raconté pour Lui. Il ne m’a pas cru au début.

    Il m’a dit qu’il comprenait. Lui aussi quand il était petit son paternel était pas tendre. Il avait la main lourde quand il avait trop bu. Que même que c’était pour ça qu’il était parti à 15 ans. Moi je ne suis pas parti. Je suis resté. Après j’avais les yeux fatigués alors je lui ai dit bonne nuit.

    Ma mère doit venir aujourd’hui. Elle va me parler. Dans sa lettre elle m’a dit qu’elle voulait me voir maintenant. Qu’elle devait faire son travail de deuil et que pour ça elle devait me voir.

    Je ne sais pas de quoi on va discuter. Je lui raconterai peut-être cette nuit l’homme qui criait. Je lui dirai qu’il fait froid et que Marc ronfle beaucoup. Je lui dirai qu’ici ils ne sont pas très gentils mais que Marc il me protège. Elle sera rassurée. Elle voudra peut-être savoir si je mange bien. Elle me demandait ça quand j’étais loin. C’est sa première visite depuis que je suis là. Avant elle disait c’est trop dur. Je lui rappelle trop Lui. Je voudrais m’arracher le visage et je ne lui rappellerai plus Lui. Je ne suis pas beau avec mes cheveux. Je ressemble à un mouton noir. Je n’arrive pas à me coiffer. Non je ne suis pas beau.

    Je voudrais être dehors pour voir encore le mercredi les mouettes sur le fleuve. J’aimais bien aller voir les mouettes. Avec leur grand bec noir et leurs ailes blanches. Des fois je me prenais pour elles. Ma mère me disait alors on rentre à la maison. Et on rentrait. Je ne sais pas de quoi on va parler quand elle viendra.


    Jeudi

    Elle a pleuré. Je ne voulais pas qu’elle pleure. J’ai mis mes mains sur la vitre. Je ne pouvais pas la toucher. Ca m’a fait plaisir et ça m’a fait mal de la voir. Elle avait des cheveux gris. Avant elle avait des cheveux plus noirs. Je lui ai dit. Elle a arrêté de pleurer et elle m’a regardé. Elle a fait comme eux. Elle m’a demandé si je comprenais pourquoi j’étais là. Mais à elle je ne voulais pas lui mentir. Je voulais qu’elle me regarde encore comme avant. Avant Lui.

    Elle m’a dit que c’était de sa faute. Qu’elle aurait jamais dû Le ramener chez nous. Que sans Lui finalement tous les deux on étaient bien. Là elle m’a redit que c’était de sa faute. Je n’arrivais pas à lui expliquer que non. Je lui ai dit que je mangeais bien et que Marc était gentil. Elle a voulu savoir qui c’était Marc. Alors je lui ai raconté l’homme qui criait dans la nuit et Marc qui ronflait et qui n’était pas coupable. Elle m’a dit qu’elle avait parlé avec mon avocat. C’est un monsieur grand et qui parle doucement. Je ne comprends pas toujours ce qu’il dit. On dirait qu’il parle pour lui-même. Je ne l’ai pas beaucoup vu et il n’est pas venu depuis longtemps. Elle m’a dit qu’il allait me faire voir à des psychiatres et qu’ils me mettraient dans un endroit mieux avec des gens comme moi. Je lui ai demandé si Marc il viendrait aussi et c’était quoi des gens comme moi. Elle a recommencé à pleurer et a baissé la tête. Je n’ai plus vu ses yeux. J’aime regarder les yeux des gens. Je les fixe. Mais souvent ils se détournent. Ils n’aiment pas les gens que je regarde dans leurs yeux. Ça leur fait peur parce qu’ils se voient dans les miens. Elle m’a dit qu’elle reviendrait mais elle a dit ça en baissant la tête. Ça veut dire qu’elle ne reviendra pas. Tout ça à cause de Lui.


    Vendredi

    Marc est jugé aujourd’hui. Moi je suis tout seul. On se moque de moi pendant les repas. Je reste sur mon lit aujourd’hui. Je regarde la tache de sang séché sur le mur du fond à droite. Je voudrais faire plein de taches autour pour faire plein de coccinelles. Comme au mois d’août où on peut en voir des dizaines sur une seule fleur. Mais on est en février alors une coccinelle c’est déjà trop. Je suis allé l’effacer du mur. Parce qu’on est en février et qu’en février il n’y a pas de coccinelle. En février il y a juste un mur jaune et sale. Il fait froid. Le radiateur ne marche pas aujourd’hui. Marc qui est là depuis plus longtemps que moi m’a dit que ça arrivait des fois. Les radiateurs ils sont vieux comme le mur c’est pour ça.
    Ils m’ont emmené aujourd’hui à l’endroit où on parle. L’avocat était là. Je voyais qu’il s’en voulait de ne pas être venu plus tôt alors je lui ai dit c’est pas grave. Il m’a demandé qu’est ce qui n’est pas grave. Alors je lui ai dit que ce n’était pas grave et que c’était bien qu’il soit là quand même. Il m’a dit qu’il avait discuté avec ma mère. Que j’avais des circonstances atténuantes. Que le fait qu’Il me battait et la battait plaiderait pour ma cause. Et que je n’étais pas tout à fait maître de ce que je faisais et que ça les psychiatres ils le diraient. Ça m’a un peu énervé qu’il dise que je n’étais pas maître de moi. Je sais très bien que je suis maître de moi. Ce que je ne voulais pas c’est que ce soit Lui qui soit maître de moi. Il m’a dit que demain les psychiatres ils viendraient me parler et que je devrais répondre à leurs questions. Il m’a demandé si je comprenais bien ce qu’il me disait. Il n’avait pas l’air content d’être là. Il m’a redemandé mais avec une voix plus forte si je le comprenais bien. J’ai dit oui. Je ne suis pas bête je comprends ce qu’on me dit même que je discute avec Marc et Marc ne me demande jamais si je le comprends bien. Il a rajusté sa veste de costume, il a baissé la tête et a recommencé à parler doucement. Il m’a dit que ça allait s’arranger. Que j’aurais de ses nouvelles bientôt. Sans faute. Là il est reparti. Marc n’est toujours pas revenu. Je regarde toujours le mur. Je ne sais pas si je veux partir si Marc ne vient pas. Je pourrai lui demander s’il veut venir.

    Samedi
    Les psychiatres ils sont venus. Ils ont dit que c’est inadmissible qu’on me garde ici. Je leur ai dit qu’on mangeait bien même si les autres ils m’aimaient pas trop. Que moi je discutais avec Marc qui ronfle et que je regardais les histoires dans le mur et que la tache de sang était effacée parce qu’en février on a pas de coccinelle. Ils se sont regardés et le chauve il m’a demandé si je savais ce que j’avais fait pour être enfermé là. Ils sont comme les autres. Eux aussi ils me demandent si je sais pourquoi je suis là. Alors je leur ai dit. C’est parce qu’Il m’aimait pas. Que c’était Lui qui avait voulu revenir à la maison. Que tous les deux sans Lui on était bien. Qu’ils avaient qu’à demander à ma mère elle leur dirait qu’Il laissait des marques et que moi j’aimais pas. Que c’était pour ça. J’étais obligé. Ils m’ont dit qu’ils feraient le nécessaire pour que je sois très rapidement transféré dans un endroit adapté. J’ai voulu savoir si Marc pouvait venir. Ils m’ont dit non mais que là-bas on s’occuperait de moi. J’ai demandé de quelle couleur étaient les murs. Ils ont dit que je verrais bien quand j’y serai. Moi je ne veux pas y aller. Je veux attendre août pour faire des coccinelles. Je ferai aussi le chat quand il ronronne. Et plein de fleurs. Et Marc il n’aura pas gâché sa vie et il ne baissera pas la tête quand je le regarderai dans les yeux. En août les fleurs jaunes et sales se balanceront. Moi je les regarderai le long du mur. Ils ont dit qu’ils m’emmèneraient ce soir. Qu’on viendrait me chercher. Que je pourrai quitter cet endroit pour là où je serai mieux.


    Dimanche

    Je regarde le mur blanc. Il fait frais ici. C’est propre. Ils m’ont emmené hier soir. Je n’ai pas revu Marc. J’aurai voulu dire au revoir à Marc, qu’il pourrait venir me voir et que là où j’allais je serai mieux. Il m’aurait souhaité bonne chance. Il me manque. Je suis tout seul dans la pièce. Il n’y a pas de lit au-dessus que je peux regarder. Ici il n’y a pas de mots sur les murs dans lesquels je peux me plonger. Je préfère le jaune au blanc. Il n’y a pas d’histoire dans le blanc. Pas de coccinelle. Pas de fleur. Il n’y aura pas de mois d’août et je suis tout seul. Je ne sais pas pourquoi ils n’ont pas voulu que Marc il vienne ici. Pour qui est-ce qu’il va ronfler maintenant ?

    Ce matin j’ai vu un autre monsieur avec des lunettes et une moustache qui m’a demandé si je savais pourquoi j’étais là. J’ai dit oui. Pour raconter l’histoire de la lézarde au mur.