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Une lézarde au mur

Bon parce qu'on m'en reparle en ce moment de la nouvelle que j'ai écrite, je la remets ici....


Lundi

Je suis des yeux la lézarde qui grimpe sur le mur jaune décrépi. L’air de l’extérieur filtre à travers la fenêtre du haut. Il est frais. Ca fait longtemps qu’ils ont emmené Marc. Il devait voir son avocat. Moi je ne vois plus le mien. J’ai reçu une lettre ce matin. Ma mère. Elle veut comprendre encore. Alors qu’il n’y a rien à comprendre. Elle veut juste entendre que ce n’est pas de sa faute. Elle n’y est pour rien en somme. La lézarde se divise en plusieurssous-lézardes. On dirait un tableau d’un de ces peintres contemporains. Ce jaune, vieux, sale, qui s’effrite. Ces lignes qui s’avancent peu sûres d’elles-mêmes et s’arrêtent sans qu’on sache pourquoi.

Je pourrai passer ma vie à regarder ce mur. Je pourrai passer ma vie à lire les graffiti de ceux qui m’ont précédé. Dans un sens puis dans l’autre. Je les lis parfois tous à l’envers et leur découvre un sens mystérieux. J’entre dans le monde des lézardes et des mots qui n’ont plus de sens. Mais on se moque de moi. On m’appelle L’Autiste. Ils ne comprennent pas. Ils ne peuvent pas comprendre comment je peux rester des heures à scruter ce mur parce que, eux, ils n’y voient qu’un mur.

Ça a commencé à cause de Lui. C’est de sa faute à Lui si je suis là. Ma mère n’y est pour rien. Ni moi non plus. Moi je ne fais que regarder. Regarder ou dormir. Parfois j’ouvre un livre. C’est le bibliothécaire qui me le donne. Hier j’ai lu l’histoire d’un homme qui sentait tout. Sur la couverture du livre il y a une femme bien en chair, blonde, qui est nue. C’est pour ça que j’ai pris le livre. Je me sens comme cet homme rejeté par tous parce qu’il sent tout. Je n’ai pas encore tout lu. Je ne lis pas vite. Je prends mon temps. Je scrute chaque mot. Je m’y plonge. Une fois je suis resté une journée sur une page. C’est parce que j’aime mélanger les mots. Je prends le premier mot du début de la page et je l’associe au dernier mot de la fin de la page. Là c’est une autre histoire qui commence. C’est pour ça que je suis lent. Je lis toutes les histoires qu’il y a dans une page. Le bibliothécaire m’a dit qu’il ne me passerait plus de livres si je ne les rendais pas plus vite. Il y a d’autres personnes qui voudraient les lire. Moi je ne les connais pas les autres personnes.

Je ne connais que Marc. Il dort dans le lit d’en haut. Moi j’ai peur du vide. Je ne monte pas. Je reste en bas. C’est mieux d’être en bas, on peut regarder le dessous du lit d’en haut.

Marc il est là parce qu’il dit qu’il voulait pas lui faire de mal. Qu’elle était d’accord. Mais, elle, elle dit pas la même chose. Il dit qu’il sait pas pour combien il en a. Qu’il est désolé.

Moi je ne suis pas désolé.


Mardi

Marc il est revenu. Il ne m’a pas parlé. Il était en colère et il a donné un coup de poing dans le mur. Il y a une trace maintenant dans le coin droit sur le mur du fond. Il s’est fait mal. Je l’ai laissé tranquille.

Ils m’ont dit que c’était un psychiatre que je devais voir. Ils ont dit que ça servait à rien que je sois là. Que de toute façon je ne comprenais même pas pourquoi j’étais là. Moi je sais pourquoi je suis là. Je ne leur ai pas dit. J’ai juste dit que le mur était jaune et sale. Eux aussi ils ont dit Autiste mais ils sont bêtes. C’est Lui qui aurait dû être là. Lui il ne m’aimait pas. Il frappait sur le chat.

Mais je n’aime pas penser à Lui. C’est à cause de Lui que je suis là. Je ne l’ai même pas dit à Marc. Même si lui je l’aime bien. Il ronfle beaucoup la nuit mais il ne m’embête pas. Des fois il me demande ce que je regarde là sur le mur. Alors je lui raconte et il m’écoute. Il écoute le mur jaune et ses lézardes.

Aujourd’hui je ne lui parle pas. Je sens bien qu’il ne veut pas. Il a le visage de celui qui ne veut pas qu’on lui parle. Marc il me défend contre les autres. Je l’aime bien. Un jour je lui ferai lire ce que j’écris sur lui. Mais peut-être pas.

Je regarde la trace qu’il a laissée. Il y a une petite auréole rouge noir. Là où la peinture est partie. Je laisse infuser cette couleur rouge noir sur le vieux jaune sale qui est autour. On dirait une fleur avec une coccinelle dessus. Elle bouge avec le vent. Il ne fait pas trop chaud et il ne fait pas trop froid non plus. Il y a beaucoup de soleil. La fleur penche et la coccinelle avec. Je voudrais raconter à Marc l’histoire de la fleur jaune sale avec sa coccinelle de sang noir. Il est sur son lit mais je ne veux pas l’embêter. Lui il ne m’embête jamais. Je suis sûr qu’il n’a rien fait. Comme moi il a son Lui.

Mercredi

Je me suis réveillé cette nuit. Dehors il y avait un homme qui criait. Il hurlait. Ils sont venus à plusieurs et il n’a plus crié. Ça a réveillé Marc aussi. On a discuté. Il va être jugé. Il a peur. Il ne veut pas gâcher sa vie. Marc veut lui demander pardon. Il veut s’excuser. Alors je lui ai raconté que ce n’était pas de sa faute. Je lui ai raconté pour Lui. Il ne m’a pas cru au début.

Il m’a dit qu’il comprenait. Lui aussi quand il était petit son paternel était pas tendre. Il avait la main lourde quand il avait trop bu. Que même que c’était pour ça qu’il était parti à 15 ans. Moi je ne suis pas parti. Je suis resté. Après j’avais les yeux fatigués alors je lui ai dit bonne nuit.

Ma mère doit venir aujourd’hui. Elle va me parler. Dans sa lettre elle m’a dit qu’elle voulait me voir maintenant. Qu’elle devait faire son travail de deuil et que pour ça elle devait me voir.

Je ne sais pas de quoi on va discuter. Je lui raconterai peut-être cette nuit l’homme qui criait. Je lui dirai qu’il fait froid et que Marc ronfle beaucoup. Je lui dirai qu’ici ils ne sont pas très gentils mais que Marc il me protège. Elle sera rassurée. Elle voudra peut-être savoir si je mange bien. Elle me demandait ça quand j’étais loin. C’est sa première visite depuis que je suis là. Avant elle disait c’est trop dur. Je lui rappelle trop Lui. Je voudrais m’arracher le visage et je ne lui rappellerai plus Lui. Je ne suis pas beau avec mes cheveux. Je ressemble à un mouton noir. Je n’arrive pas à me coiffer. Non je ne suis pas beau.

Je voudrais être dehors pour voir encore le mercredi les mouettes sur le fleuve. J’aimais bien aller voir les mouettes. Avec leur grand bec noir et leurs ailes blanches. Des fois je me prenais pour elles. Ma mère me disait alors on rentre à la maison. Et on rentrait. Je ne sais pas de quoi on va parler quand elle viendra.


Jeudi

Elle a pleuré. Je ne voulais pas qu’elle pleure. J’ai mis mes mains sur la vitre. Je ne pouvais pas la toucher. Ca m’a fait plaisir et ça m’a fait mal de la voir. Elle avait des cheveux gris. Avant elle avait des cheveux plus noirs. Je lui ai dit. Elle a arrêté de pleurer et elle m’a regardé. Elle a fait comme eux. Elle m’a demandé si je comprenais pourquoi j’étais là. Mais à elle je ne voulais pas lui mentir. Je voulais qu’elle me regarde encore comme avant. Avant Lui.

Elle m’a dit que c’était de sa faute. Qu’elle aurait jamais dû Le ramener chez nous. Que sans Lui finalement tous les deux on étaient bien. Là elle m’a redit que c’était de sa faute. Je n’arrivais pas à lui expliquer que non. Je lui ai dit que je mangeais bien et que Marc était gentil. Elle a voulu savoir qui c’était Marc. Alors je lui ai raconté l’homme qui criait dans la nuit et Marc qui ronflait et qui n’était pas coupable. Elle m’a dit qu’elle avait parlé avec mon avocat. C’est un monsieur grand et qui parle doucement. Je ne comprends pas toujours ce qu’il dit. On dirait qu’il parle pour lui-même. Je ne l’ai pas beaucoup vu et il n’est pas venu depuis longtemps. Elle m’a dit qu’il allait me faire voir à des psychiatres et qu’ils me mettraient dans un endroit mieux avec des gens comme moi. Je lui ai demandé si Marc il viendrait aussi et c’était quoi des gens comme moi. Elle a recommencé à pleurer et a baissé la tête. Je n’ai plus vu ses yeux. J’aime regarder les yeux des gens. Je les fixe. Mais souvent ils se détournent. Ils n’aiment pas les gens que je regarde dans leurs yeux. Ça leur fait peur parce qu’ils se voient dans les miens. Elle m’a dit qu’elle reviendrait mais elle a dit ça en baissant la tête. Ça veut dire qu’elle ne reviendra pas. Tout ça à cause de Lui.


Vendredi

Marc est jugé aujourd’hui. Moi je suis tout seul. On se moque de moi pendant les repas. Je reste sur mon lit aujourd’hui. Je regarde la tache de sang séché sur le mur du fond à droite. Je voudrais faire plein de taches autour pour faire plein de coccinelles. Comme au mois d’août où on peut en voir des dizaines sur une seule fleur. Mais on est en février alors une coccinelle c’est déjà trop. Je suis allé l’effacer du mur. Parce qu’on est en février et qu’en février il n’y a pas de coccinelle. En février il y a juste un mur jaune et sale. Il fait froid. Le radiateur ne marche pas aujourd’hui. Marc qui est là depuis plus longtemps que moi m’a dit que ça arrivait des fois. Les radiateurs ils sont vieux comme le mur c’est pour ça.
Ils m’ont emmené aujourd’hui à l’endroit où on parle. L’avocat était là. Je voyais qu’il s’en voulait de ne pas être venu plus tôt alors je lui ai dit c’est pas grave. Il m’a demandé qu’est ce qui n’est pas grave. Alors je lui ai dit que ce n’était pas grave et que c’était bien qu’il soit là quand même. Il m’a dit qu’il avait discuté avec ma mère. Que j’avais des circonstances atténuantes. Que le fait qu’Il me battait et la battait plaiderait pour ma cause. Et que je n’étais pas tout à fait maître de ce que je faisais et que ça les psychiatres ils le diraient. Ça m’a un peu énervé qu’il dise que je n’étais pas maître de moi. Je sais très bien que je suis maître de moi. Ce que je ne voulais pas c’est que ce soit Lui qui soit maître de moi. Il m’a dit que demain les psychiatres ils viendraient me parler et que je devrais répondre à leurs questions. Il m’a demandé si je comprenais bien ce qu’il me disait. Il n’avait pas l’air content d’être là. Il m’a redemandé mais avec une voix plus forte si je le comprenais bien. J’ai dit oui. Je ne suis pas bête je comprends ce qu’on me dit même que je discute avec Marc et Marc ne me demande jamais si je le comprends bien. Il a rajusté sa veste de costume, il a baissé la tête et a recommencé à parler doucement. Il m’a dit que ça allait s’arranger. Que j’aurais de ses nouvelles bientôt. Sans faute. Là il est reparti. Marc n’est toujours pas revenu. Je regarde toujours le mur. Je ne sais pas si je veux partir si Marc ne vient pas. Je pourrai lui demander s’il veut venir.

Samedi
Les psychiatres ils sont venus. Ils ont dit que c’est inadmissible qu’on me garde ici. Je leur ai dit qu’on mangeait bien même si les autres ils m’aimaient pas trop. Que moi je discutais avec Marc qui ronfle et que je regardais les histoires dans le mur et que la tache de sang était effacée parce qu’en février on a pas de coccinelle. Ils se sont regardés et le chauve il m’a demandé si je savais ce que j’avais fait pour être enfermé là. Ils sont comme les autres. Eux aussi ils me demandent si je sais pourquoi je suis là. Alors je leur ai dit. C’est parce qu’Il m’aimait pas. Que c’était Lui qui avait voulu revenir à la maison. Que tous les deux sans Lui on était bien. Qu’ils avaient qu’à demander à ma mère elle leur dirait qu’Il laissait des marques et que moi j’aimais pas. Que c’était pour ça. J’étais obligé. Ils m’ont dit qu’ils feraient le nécessaire pour que je sois très rapidement transféré dans un endroit adapté. J’ai voulu savoir si Marc pouvait venir. Ils m’ont dit non mais que là-bas on s’occuperait de moi. J’ai demandé de quelle couleur étaient les murs. Ils ont dit que je verrais bien quand j’y serai. Moi je ne veux pas y aller. Je veux attendre août pour faire des coccinelles. Je ferai aussi le chat quand il ronronne. Et plein de fleurs. Et Marc il n’aura pas gâché sa vie et il ne baissera pas la tête quand je le regarderai dans les yeux. En août les fleurs jaunes et sales se balanceront. Moi je les regarderai le long du mur. Ils ont dit qu’ils m’emmèneraient ce soir. Qu’on viendrait me chercher. Que je pourrai quitter cet endroit pour là où je serai mieux.


Dimanche

Je regarde le mur blanc. Il fait frais ici. C’est propre. Ils m’ont emmené hier soir. Je n’ai pas revu Marc. J’aurai voulu dire au revoir à Marc, qu’il pourrait venir me voir et que là où j’allais je serai mieux. Il m’aurait souhaité bonne chance. Il me manque. Je suis tout seul dans la pièce. Il n’y a pas de lit au-dessus que je peux regarder. Ici il n’y a pas de mots sur les murs dans lesquels je peux me plonger. Je préfère le jaune au blanc. Il n’y a pas d’histoire dans le blanc. Pas de coccinelle. Pas de fleur. Il n’y aura pas de mois d’août et je suis tout seul. Je ne sais pas pourquoi ils n’ont pas voulu que Marc il vienne ici. Pour qui est-ce qu’il va ronfler maintenant ?

Ce matin j’ai vu un autre monsieur avec des lunettes et une moustache qui m’a demandé si je savais pourquoi j’étais là. J’ai dit oui. Pour raconter l’histoire de la lézarde au mur.

Commentaires

  • (...) Troublant ... Vraiment très troublant !!! Le fil est ténu ... même double, quand il vibre si jaune ...


    Est-ce que "Je" sait pourquoi il/elle raconte ça ??? ;)

  • Je lis, je découvre et j'admire...
    Une bien jolie plume mademoiselle!

  • merchi:)

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