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La mort du père

Les gouttes de pluie s’écrasent mollement contre la vitre. Le linge, qu’elle avait mis à sécher dehors, lentement, se gonfle d’eau. Plus rien n’a d’importance maintenant. Toute l’eau de la terre peut bien tomber, ce linge se noyer, elle n’est plus qu’un corps derrière une vitre, ses yeux ne regardent déjà plus au loin. Elle est à l’intérieur d’elle-même. Les derniers événements repassent en boucle derrière son écran personnel. Les images, les sons, les odeurs, les rires, les colères, les petites attitudes, mimiques, défauts, tout afflue et elle reste là, les yeux vitreux, la bouche entrouverte, le corps appuyé contre cette vitre, incapable de s’arracher à ce tonnerre qui gronde en elle. Elle se rappelle tous ces chemins parcourus seuls dans la forêt, avec Dick leur chien. Elle se rappelle tous ces morts qui, aujourd’hui, se sont rejoints, depuis cet appel téléphonique. Rien ne compte plus depuis que la sonnerie du téléphone s’est faite entendre et que la voix de sa mère lui est parvenue, altérée par la distance et la douleur. Son monde s’est effondré à ce moment précis. Tout un pan de sa vie s’est détaché. Pour une fois, nul mot, nulle phrase n’est venue à son secours…un vide s’est creusé en elle et elle avait raccroché. Aucune larme n’avait coulé et elle était seule ce jour-là à la maison. C’était un jeudi après-midi, son jour de repos. Elle traînait encore en chemise de nuit alors qu’il était déjà midi passé.

L’annonce de la mort de son père était ce qu’elle craignait le plus depuis toute petite. Elle le voyait immortel, inaltérable et se refusait à le voir dépérir, vieillir et mourir. Il était si fort, jamais malade ou si peu, cela ne pouvait arriver, cela ne devait arriver. Voilà sept ans qu’elle était partie de chez elle. Pour ses études, elle avait quitté l’île, puis s’était mariée et ne revenait plus que pour les grandes vacances. Les voyages en Allemagne qu’elle faisait petite, seule avec lui, revenaient brusquement à sa mémoire, en particulier le petit cimetière perdu dans la forêt où son père voulait être enterré. Elle avait adoré ces moments passés avec ce père qu’elle avait fini par héroïser.

Elle reprit doucement possession de son corps, la douleur qu’elle ressentait devenait en effet de plus en plus physique. Son cœur explosait dans sa poitrine et était transpercé par des milliers de petites aiguilles. Son ventre était devenu un trou béant. Elle avait envie de hurler mais sa gorge serrée ne lui répondait plus.

Sa pensée revint difficilement au monde qui l’entourait. Elle venait de raccrocher au nez de sa mère qui devait être, non seulement seule, mais encore plus mal qu’elle. Des larmes s’amassaient derrière ses yeux tandis qu’elle tentait de composer le numéro de ses parents, enfin celui de sa mère, uniquement, désormais.

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